Cela fait maintenant presque 6 ans que je vis avec des chiens, et que je me suis énormément investi dans la compréhension de cette espèce.
J'ai beaucoup appris les premières années. J'ai d'abord appris que je ne
savais rien, et que le peu que je savais été massivement faux. J'ai ensuite appris
comment modifier le comportement de nos chiens, j'ai appris les principes, puis
j'ai tâtonné, expérimenté, perfectionné. Et ces derniers temps, j'apprends - ou
du moins j'essaie- à rendre un chien heureux. La notion de bonheur étant un peu
anthropomorphique, disons que j'apprends comment combler les besoins d'un
chien.
C'est donc tout naturellement que je me suis saisie de la notion de
"Chiens libres" (je ne sais pas si la "mouvance" a un nom,
je vais donc les nommer ainsi) lorsque je suis tombée dessus il y a quelques
mois. Ce que j'en ai compris à la première lecture, c'est qu'il s'agit de rediriger les
activités canines et chien-humain vers des balades, calmes, en libre et
favorisant les interactions intra-spécifiques.
Et tout de suite quelque chose, ou plutôt quelqu'un m'a fait tiqué, c'est
Flappy. En effet, souffrant de plusieurs pathologies assez sévères, les balades
parfois ce n'est franchement pas adapté (ce qui ne l'empêche pas d'avoir besoin
d'occupations), et en terme de chiens, il n'apprécie les interactions qu'avec quelques uns qu'il connaît bien, et c'est tout à fait son droit.
Je me suis donc demandé quel était le fondement de cette façon de voir les
choses, pour - dans le cas où je serais convaincue - trouver un moyen d'adapter
la philosophie à mon chien. Et aussi parce que je suis une indécrottable
curieuse et que je voulais savoir de quoi il en retournait.
Finalement, ce qui ressortait de cette nouvelle façon - pour moi-
d'interagir avec le chien, c'était la volonté de respecter sa nature en le
laissant s'exprimer avec le moins de contrôle possible. Avec le message sous
jasent de ne pas utiliser de conditionnement (bien que parfois clairement
exprimé).
OK. C'est le moment où moi je ressors mes définitions pour être sûre de
maîtriser la notion de conditionnement. Et plus précisément du condition
opérant puisque c'est celui que nous utilisons pour modifier le comportement de
nos chiens. Donc le conditionnement opérant c'est: la répétition ou non d'un
comportement par un individu, en fonction de la conséquence de celui ci. Si la
conséquence du comportement est agréable, l'individu va le reproduire. Si la
conséquence du comportement est désagréable, l'individu ne reproduira pas le
comportement. Assez logique et basique finalement.
Le 0 conditionnement est il possible? Non, les chiens font des liens par eux
même. Il a suffit que Flappy aboie une fois devant la porte fenêtre alors qu'il
était dans le jardin et que je lui ouvre la porte, pour qu'il comprenne
qu'aboyer lui permettait de rentrer.
Par contre on peut se poser des questions
sur la façon dont nous utilisons le conditionnement. Il est assez évident que
de modifier la réponse comportementale d’un chien en utilisant une violence,
mentale ou physique, n’est pas éthique. Parlons plutôt du conditionnement par
renforcement positif, par ajout d’un gain pour le chien. Le conditionnement
n’est finalement qu’un outil, qu’est ce que recherchent au fond les éducateurs
bienveillants (je préfère ce terme à positif qui crée de la confusion) par son
utilisation ? Ce qui est visé c’est d’encadrer l’expression des
comportements du chien, de façon à ce qu’ils soient compatibles avec le monde
humain. Par extension, c’est de respecter la nature du chien dans un univers contraignant
qui est visé.
Si deux visions si différentes en première lecture ont finalement le même
but, il est peut être plus intéressant de se concentrer sur ce qui les
rassemble que sur ce qui les divise.
Si le but c’est de respecter la nature du chien, finalement la vraie
question c’est : quelle est la nature du chien ?
Pas si facile de répondre à cette question lorsqu’il s’agit d’une espèce si
proche et si dépendante. Nous avons tellement d’influence et d’emprise sur eux,
nous vivons côte à côte depuis si longtemps, qu’il est ardu d’imaginer ce
qu’ils feraient sans nous.
Les chiens ont un répertoire de communication très étendu, ce qui est utile
à un animal social. Ce sont également des nomades, ils ne s'attribuent pas
de territoire mais se déplacent au gré des opportunités et menaces. On sait que
les chiens sont des carnivores, ça c’est leur anatomie qui le dit. Pour autant,
si ils devaient se nourrir seuls, chasseraient t ils ? Où choisiraient ils
de s’installer prêt des décharges et d’avoir un régime alimentaire d’éboueur ?
L’opportunisme naturel des chiens fait plutôt pencher la balance vers la
deuxième solution.
La question de l’alimentation d’un chien qui se retrouverait seul met en
avant un fait intéressant. La plupart des chiens domestiques ont un patron
moteur de chasse incomplet, rares sont ceux qui sont capables de trouver,
poursuivre, attraper, tuer puis manger une proie. Depuis le temps qu’ils vivent
avec nous, ils n’ont plus besoin de produire ce comportement puisque nous les
nourrissons, il n’y a donc plus de sélection naturelle sur ce plan. Mais,
surtout, nous avons manipulé ce patron moteur pour en atrophier certaines
séquences et en hypertrophier d’autres afin de les utiliser comme auxiliaire de
travail.
Le fait de rassembler et guider un troupeau n’a aucun intérêt pour la survie
d’un chien, pourtant la dernière fois que j’ai vu un bébé border de 3 mois
découvrir des moutons, j’ai été bluffé par l’impression de naturel qui se
dégageait de la scène. Ces tendances comportementales sont ancrées dans le chien,
elles s’exprimeront plus ou moins fort en fonction de l’environnement, mais si
elles sont présentes nous ne les ferons pas disparaître et si elles ne sont pas là nous ne pourrons
pas les faire apparaître.
Par la sélection nous avons fortement influencé la nature des chiens, et si
tous ont des points communs, ils peuvent aussi être fondamentalement
différents. C'est le concept même des races, ce pour quoi nous les avons créés et ce pour quoi nous les choississons aujourd'hui: des rôles différents, des tendances comportementales différentes, des besoins différents.Là où certains ne feront que pointer la proie, certains la
courseront. Là où certains chercheront le contact avec chaque humain qui
croisera sa route, d’autres seront d’une extrême méfiance. Là où un jogging en
fatiguera un pour l’après midi, cela ne saura qu’un échauffement pour un autre.
Ignorer les patrons moteurs, les tendances comportementales et les besoins variables que la sélection génétique a fait
apparaître chez nos chiens serait une erreur. Cela serait donc une erreur de
penser que nous pouvons tous les combler par le même mode de vie, les mêmes
sollicitations, les mêmes interactions.
Alors finalement, que devons nous faire avec nos chiens ? Utiliser le
conditionnement ou pas? Faire des sports canins ou pas ? Lui offrir
beaucoup d’interactions avec ses congénères ou pas ? Le sortir en forêt ou
dans des parcs ? Il y a une multitude de questions que l’on pourrait
encore poser. Mais cela ne sert à rien parce que la réponse est toujours la même :
ça dépend.
Ca dépend de ce dont ce chien a besoin et de ce qu’il faut à son humain
pour lui permettre de répondre à son besoin. Peu importe l’affection ou le
respect que l’on a pour nos chiens, à quel point nous voulons leur accorder de
l’autonomie, ils sont fondamentalement dépendants de nous. A la fois de nos
actes mais aussi de nos convictions, nos freins et nos motivations. Il est tout
à fait évident que nos chiens ont besoin qu’on leur offre des sorties durant
lesquelles ils peuvent explorer, se déplacer, s’éloigner librement. Mais la
peur de l’accident de l’humain n’est pas moins légitime. Il est compréhensible
que ce chien n’apprécie pas l’effervescence d’un club canin, tout comme il est
compréhensible que son humain accorde beaucoup de valeur à cette occasion de
liens sociaux. Flappy a le droit de préférer les sorties en ville, et j’ai le
droit de préférer les sorties en forêt. Il est logique que Linux est envie
d’aller à la rencontre de tous les chiens qu’il croise, tout comme il est
logique que je ne lui permette pas à chaque fois.
La vie commune est une histoire de compromis, d’ajustement, d’apprentissage
par essai-erreur. Nos chiens ne parlent pas, mais presque. C’est en apprenant leur
langage que nous saurons quoi faire avec chacun, ce qui est possible avec lui
et pas avec lui, ce qui nécessaire pour lui et pas pour lui, ce qui est
interdit avec celui ci et intéressant avec celui là, ce qui fait plaisir à
celui là et qui rebute celui ci. Nous disposons d’une multitude de
possibilités, d’outils, de voies pour offrir une vie riche, intéressante,
équilibrée à chacun de nos chiens, dans le respect de leur intégrité physique
et morale, mais aussi dans le respect de qui nous sommes, ce que nous voulons
ou pas, ce que nous pouvons ou pas.
Lancez la balle, utilisez le clicker, roulez vous par terre, rencontrez
d’autres chiens, expérimentez le lâché prise, apprenez à vous taire, courez les
terrains d’agility, creusez des trous, tracez des pistes, tout ce que vous
voudrez, tout ce que votre cerveau pourra imaginer. Mais faites tout cela
l’esprit ouvert, écoutez votre chien et n’oubliez pas d’en tirer les
enseignements. Ne le forcez pas dans des chemins qui ne lui conviennent pas,
suivez le parfois dans ceux que vous n’auriez pas emprunté.