mercredi 7 décembre 2016

Une espèce, des individus

Cela fait maintenant presque 6 ans que je vis avec des chiens, et que je me suis énormément investi dans la compréhension de cette espèce.

J'ai beaucoup appris les premières années. J'ai d'abord appris que je ne savais rien, et que le peu que je savais été massivement faux. J'ai ensuite appris comment modifier le comportement de nos chiens, j'ai appris les principes, puis j'ai tâtonné, expérimenté, perfectionné. Et ces derniers temps, j'apprends - ou du moins j'essaie- à rendre un chien heureux. La notion de bonheur étant un peu anthropomorphique, disons que j'apprends comment combler les besoins d'un chien.


C'est donc tout naturellement que je me suis saisie de la notion de "Chiens libres" (je ne sais pas si la "mouvance" a un nom, je vais donc les nommer ainsi) lorsque je suis tombée dessus il y a quelques mois. Ce que j'en ai compris à la première lecture, c'est qu'il s'agit de rediriger les activités canines et chien-humain vers des balades, calmes, en libre et favorisant les interactions intra-spécifiques.
Et tout de suite quelque chose, ou plutôt quelqu'un m'a fait tiqué, c'est Flappy. En effet, souffrant de plusieurs pathologies assez sévères, les balades parfois ce n'est franchement pas adapté (ce qui ne l'empêche pas d'avoir besoin d'occupations), et en terme de chiens, il n'apprécie les interactions qu'avec quelques uns qu'il connaît bien, et c'est tout à fait son droit.
Je me suis donc demandé quel était le fondement de cette façon de voir les choses, pour - dans le cas où je serais convaincue - trouver un moyen d'adapter la philosophie à mon chien. Et aussi parce que je suis une indécrottable curieuse et que je voulais savoir de quoi il en retournait.

Finalement, ce qui ressortait de cette nouvelle façon - pour moi- d'interagir avec le chien, c'était la volonté de respecter sa nature en le laissant s'exprimer avec le moins de contrôle possible. Avec le message sous jasent de ne pas utiliser de conditionnement (bien que parfois clairement exprimé).

OK. C'est le moment où moi je ressors mes définitions pour être sûre de maîtriser la notion de conditionnement. Et plus précisément du condition opérant puisque c'est celui que nous utilisons pour modifier le comportement de nos chiens. Donc le conditionnement opérant c'est: la répétition ou non d'un comportement par un individu, en fonction de la conséquence de celui ci. Si la conséquence du comportement est agréable, l'individu va le reproduire. Si la conséquence du comportement est désagréable, l'individu ne reproduira pas le comportement. Assez logique et basique finalement.

Le 0 conditionnement est il possible? Non, les chiens font des liens par eux même. Il a suffit que Flappy aboie une fois devant la porte fenêtre alors qu'il était dans le jardin et que je lui ouvre la porte, pour qu'il comprenne qu'aboyer lui permettait de rentrer.

Par contre on peut se poser des questions sur la façon dont nous utilisons le conditionnement. Il est assez évident que de modifier la réponse comportementale d’un chien en utilisant une violence, mentale ou physique, n’est pas éthique. Parlons plutôt du conditionnement par renforcement positif, par ajout d’un gain pour le chien. Le conditionnement n’est finalement qu’un outil, qu’est ce que recherchent au fond les éducateurs bienveillants (je préfère ce terme à positif qui crée de la confusion) par son utilisation ? Ce qui est visé c’est d’encadrer l’expression des comportements du chien, de façon à ce qu’ils soient compatibles avec le monde humain. Par extension, c’est de respecter la nature du chien dans un univers contraignant qui est visé.



Si deux visions si différentes en première lecture ont finalement le même but, il est peut être plus intéressant de se concentrer sur ce qui les rassemble que sur ce qui les divise.
Si le but c’est de respecter la nature du chien, finalement la vraie question c’est : quelle est la nature du chien ?
Pas si facile de répondre à cette question lorsqu’il s’agit d’une espèce si proche et si dépendante. Nous avons tellement d’influence et d’emprise sur eux, nous vivons côte à côte depuis si longtemps, qu’il est ardu d’imaginer ce qu’ils feraient sans nous.

Les chiens ont un répertoire de communication très étendu, ce qui est utile à un animal social. Ce sont également des nomades, ils ne s'attribuent pas de territoire mais se déplacent au gré des opportunités et menaces. On sait que les chiens sont des carnivores, ça c’est leur anatomie qui le dit. Pour autant, si ils devaient se nourrir seuls, chasseraient t ils ? Où choisiraient ils de s’installer prêt des décharges et d’avoir un régime alimentaire d’éboueur ? L’opportunisme naturel des chiens fait plutôt pencher la balance vers la deuxième solution.

La question de l’alimentation d’un chien qui se retrouverait seul met en avant un fait intéressant. La plupart des chiens domestiques ont un patron moteur de chasse incomplet, rares sont ceux qui sont capables de trouver, poursuivre, attraper, tuer puis manger une proie. Depuis le temps qu’ils vivent avec nous, ils n’ont plus besoin de produire ce comportement puisque nous les nourrissons, il n’y a donc plus de sélection naturelle sur ce plan. Mais, surtout, nous avons manipulé ce patron moteur pour en atrophier certaines séquences et en hypertrophier d’autres afin de les utiliser comme auxiliaire de travail.

Le fait de rassembler et guider un troupeau n’a aucun intérêt pour la survie d’un chien, pourtant la dernière fois que j’ai vu un bébé border de 3 mois découvrir des moutons, j’ai été bluffé par l’impression de naturel qui se dégageait de la scène. Ces tendances comportementales sont ancrées dans le chien, elles s’exprimeront plus ou moins fort en fonction de l’environnement, mais si elles sont présentes nous ne les ferons pas disparaître  et si elles ne sont pas là nous ne pourrons pas les faire apparaître. 

Par la sélection nous avons fortement influencé la nature des chiens, et si tous ont des points communs, ils peuvent aussi être fondamentalement différents. C'est le concept même des races, ce pour quoi nous les avons créés et ce pour quoi nous les choississons aujourd'hui: des rôles différents, des tendances comportementales différentes, des besoins différents.Là où certains ne feront que pointer la proie, certains la courseront. Là où certains chercheront le contact avec chaque humain qui croisera sa route, d’autres seront d’une extrême méfiance. Là où un jogging en fatiguera un pour l’après midi, cela ne saura qu’un échauffement pour un autre. Ignorer les patrons moteurs, les tendances comportementales et les besoins variables que la sélection génétique a fait apparaître chez nos chiens serait une erreur. Cela serait donc une erreur de penser que nous pouvons tous les combler par le même mode de vie, les mêmes sollicitations, les mêmes interactions.


Alors finalement, que devons nous faire avec nos chiens ? Utiliser le conditionnement ou pas? Faire des sports canins ou pas ? Lui offrir beaucoup d’interactions avec ses congénères ou pas ? Le sortir en forêt ou dans des parcs ? Il y a une multitude de questions que l’on pourrait encore poser. Mais cela ne sert à rien parce que la réponse est toujours la même : ça dépend. 

Ca dépend de ce dont ce chien a besoin et de ce qu’il faut à son humain pour lui permettre de répondre à son besoin. Peu importe l’affection ou le respect que l’on a pour nos chiens, à quel point nous voulons leur accorder de l’autonomie, ils sont fondamentalement dépendants de nous. A la fois de nos actes mais aussi de nos convictions, nos freins et nos motivations. Il est tout à fait évident que nos chiens ont besoin qu’on leur offre des sorties durant lesquelles ils peuvent explorer, se déplacer, s’éloigner librement. Mais la peur de l’accident de l’humain n’est pas moins légitime. Il est compréhensible que ce chien n’apprécie pas l’effervescence d’un club canin, tout comme il est compréhensible que son humain accorde beaucoup de valeur à cette occasion de liens sociaux. Flappy a le droit de préférer les sorties en ville, et j’ai le droit de préférer les sorties en forêt. Il est logique que Linux est envie d’aller à la rencontre de tous les chiens qu’il croise, tout comme il est logique que je ne lui permette pas à chaque fois. 


La vie commune est une histoire de compromis, d’ajustement, d’apprentissage par essai-erreur. Nos chiens ne parlent pas, mais presque. C’est en apprenant leur langage que nous saurons quoi faire avec chacun, ce qui est possible avec lui et pas avec lui, ce qui nécessaire pour lui et pas pour lui, ce qui est interdit avec celui ci et intéressant avec celui là, ce qui fait plaisir à celui là et qui rebute celui ci. Nous disposons d’une multitude de possibilités, d’outils, de voies pour offrir une vie riche, intéressante, équilibrée à chacun de nos chiens, dans le respect de leur intégrité physique et morale, mais aussi dans le respect de qui nous sommes, ce que nous voulons ou pas, ce que nous pouvons ou pas. 

Lancez la balle, utilisez le clicker, roulez vous par terre, rencontrez d’autres chiens, expérimentez le lâché prise, apprenez à vous taire, courez les terrains d’agility, creusez des trous, tracez des pistes, tout ce que vous voudrez, tout ce que votre cerveau pourra imaginer. Mais faites tout cela l’esprit ouvert, écoutez votre chien et n’oubliez pas d’en tirer les enseignements. Ne le forcez pas dans des chemins qui ne lui conviennent pas, suivez le parfois dans ceux que vous n’auriez pas emprunté.

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